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Internet, rock et culture générale - Page 32

  • Les Japonais adorent les jeux bons pour la santé

    Les divertissements qui permettent d'enrichir ses connaissances et de développer ses fonctions intellectuelles ainsi que ceux qui aident à rendre le corps plus beau sont, parmi les types de jeux vidéo en vogue, ceux qui suscitent le plus l'intérêt des Japonais, révèle une enquête.

    Selon une étude accompagnant le rapport annuel 2008 de l'Association des développeurs de divertissements numériques japonais paru lundi, 40% des Nippons assurent que les jeux ludo-éducatifs et d'entraînement des méninges sont ceux qui les attirent le plus.
    Suivent les divertissements sur consoles qui enseignent comment prendre davantage soin de son corps (fitness, yoga, exercices de musculation faciale, etc.). Arrivent ensuite les jeux qui obligent à se remuer (en s'agitant devant la télé) et les amusements encyclopédiques s'appuyant sur des livres de recettes de cuisine, atlas et autres documents de référence. (...)

    Ce sont les femmes qui montrent le plus d'intérêt pour ces diverses catégories de divertissements numériques, mais l'ordre de préférence est le même chez les hommes.Ces données traduisent l'évolution récente du marché du jeu vidéo japonais, qui s'est élargi du fait de la sortie de machines de salon et consoles portables d'un nouveau type, plus simples à manier et pour lesquelles les développeurs ont conçu des titres plus compréhensibles et/ou plus intelligents, accessibles à un public de néophytes.

    Ce phénomène est particulièrement marqué pour les consoles de salon "Wii" et portable "DS" du nippon Nintendo, appareils dont les ergonomies inusitées (reconnaissance de mouvements, écran tactile) ont entraîné la création d'une logithèque inédite pour tous les publics, des bambins aux retraités.

    La Wii a aussi ouvert un nouveau filon avec l'ajout d'accessoires comme le "Wii-Fit" pour faire des exercices physiques devant la télévision et suivre au quotidien son poids et ses capacités physiques. Le rapport annuel montre que 30% des individus interrogés jouent à des jeux vidéo, ce qui, rapporté à la population japonaise, correspond à environ 37,4 millions d'individus, soit 4 millions de plus qu'un an auparavant.(...)

    Source : AFP, Tokyo. 
  • Jeux vidéo : la protection des mineurs doit s'améliorer

    La Commission européenne se félicite des progrès accomplis en matière de protection des mineurs vis-à-vis des jeux vidéos violents, mais estime qu'il faut aller encore plus loin. Depuis 2003, 20 États membres, dont la France, appliquent le système paneuropéen de classification par catégorie d'âge des logiciels de loisirs (PEGI), mis au point par l'industrie avec le soutien de l'UE. Ce système interdit par exemple de vendre certains titres aux moins de 18 ans.

    Bruxelles déplore que quatre États (Chypre, le Luxembourg, la Roumanie et la Slovénie) n'aient en revanche mis en place aucun système. La Commission les invite à le faire.
    Il reste de nombreuses variantes locales concernant la réglementation autour du PEGI, plus ou moins contraignantes pour les éditeurs de jeux et les vendeurs. Bruxelles souhaiterait que ces règles soient harmonisées et que d'ici deux ans soit élaboré un « code de conduite européen des détaillants pour la vente de jeux vidéo aux mineurs ».

    «Les jeux vidéo sont devenus une composante essentielle de l'industrie européenne du contenu, et leur vente explose partout en Europe. C'est une bonne chose, mais cela entraîne une responsabilité accrue de l'industrie, qui doit veiller à ce que les parents sachent à quelle sorte de jeux vidéo jouent leurs enfants», a déclaré Viviane Reding, commissaire européenne chargée de la société de l'information et des médias.

    Selon Bruxelles, le secteur européen des jeux vidéo, en pleine expansion, devrait générer 7,3 milliards d'euros de recettes d'ici la fin 2008. Il rapporte déjà des revenus correspondant à la moitié de ceux du marché de la musique et dépassant celui des salles de cinéma en Europe.

    Source : ZDNet.fr 

  • Profit : le diable dans la boîte

    ◊ A propos de la série télévisée culte «Profit»

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    "The important thing to remember in business is that what may seem like a calamity may turn out to be an opportunity" (Jim Profit).

     

    06b7565f2c3da7676d6a56a187ac1a16.jpgLa télévision n’aime pas le monde des affaires. Rares sont les séries ou les feuilletons à succès ayant élu pour thème majeur la finance ou le monde du travail*. Et lorsque c’est exceptionnellement le cas (Working ou Murphy Brown par exemple), l’univers décrit est toujours plus ou moins lié à Hollywood : les intrigues louvoient entre médias, cinéma et édition, censés représenter le summum du glamour pour les scénaristes de télévision [1].

     

    Exception de taille à cette règle artistique : Profit, une série atypique et dérangeante diffusée pour la première fois sur le réseau de la Fox en 1996 et reprise en France par la chaîne thématique Canal Jimmy. Cette production, devenue «culte» pour les passionnés de créations télévisuelles, fait de l’intrigue financière un art obscur et ésotérique. Et son héros, Jim Profit, un manipulateur si machiavélique qu’à ses côtés, le J.R Ewing de Dallas et le Gordon Gekko de Wall Street font figure d’aimables rentiers. Pour le télespectateur perplexe, regarder Profit est une expérience particulière qui s’apparente à observer de près un piranha en pleine action dans un aquarium...

     

    American psycho

     

    Mais qui est Jim Profit? Un jeune cadre ambitieux, fraîchement recruté par une multinationale fictive, Gracen & Gracen, dont l’activité consiste pour l’essentiel à racheter d’autres sociétés. Nous faisons la connaissance de Profit lors des funérailles de celui qu’il s’apprête à remplacer comme adjoint au Département des Acquisitions.

    Est-il responsable de ce décès ? Nous ne le saurons pas mais, d’emblée, il trouve le moyen de faire chanter une secrétaire de direction et de commencer à fomenter son ascension inexorable dans la société. Dans les épisodes suivants, il gravira l’échelle des promotions sans le moindre scrupule, allant jusqu’à provoquer la mort de ceux qui le gênent.

     

    60b4911e6131775fc44a0abaafe33900.jpgExpert en psychologie, Profit excelle à manipuler ses collègues de bureau, tirant profit (le sens de son patronyme est très vite clair pour tout le monde) de la moindre faiblesse.

    Il est également un «maître du cyberespace» ce qui signifie qu’il a accès aux données confidentielles de n’importe qui, depuis ses relevés bancaires jusqu’à ses radiographies dentaires. Profit passe d’ailleurs une bonne partie des épisodes dans une pièce secrète de son appartement, assis nu devant l’écran de son ordinateur, parcourant le monde virtuel en quête de la moindre information.

     

    Box office

     

    La nuit, enfin, Profit a pour habitude de dormir dans un carton, replié dans une position fœtale. Cette étrangeté, que n’aurait pas renié le David Lynch de Twin Peaks, est l’une des particularités de la série. 23f95dd88101e4d811745ad15b92f002.gifEn effet, si Jim Profit ressemble comme un clone à ces cadres aux dents longues aperçus ici et là aux détours de films souvent caricaturaux, un point le distingue de ses confrères : ses motivations dépassent la simple cupidité et révèlent un traumatisme profondément enfoui. En effet, après que ses parents ont divorcé, son père l’a élevé... dans un carton ! Le jeune Profit devait même s’y nourrir et n’en sortait qu’une fois par semaine pour une toilette sommaire. Seule compensation paternelle : une petite ouverture dans le carton, à travers laquelle le reclus pouvait regarder la télévision. Dans ces conditions, on comprend le comportement quelque peu asocial de ce «héros» que son interprète, Adrian Pasdar, décrit en ces termes : «Je ne pense pas que Profit soit dépourvu de morale, il a juste pris un avion différent du nôtre».

     

    Style abstrait

     

    Certes, aucun feuilleton n’avait jamais mis en vedette un anti-héros qui dort nu dans un carton après avoir passé sa journée à comploter et poignarder dans le dos ses collègues de bureau.

    Est-ce là la principale originalité de ce feuilleton très spécial ? Non, d’autant que le reflet qui est donné du monde des affaires n’est pas non plus révolutionnaire.

    e379e61f24a1410979960e969726791b.jpgNous sommes loin d’un Wall Street qui démontait les mécanismes des prises de capital et de leurs conséquences sociales désastreuses. Les créateurs de Profit ont fait de leur mieux pour structurer le feuilleton comme un drame aux résonances mythologiques. L’action se déroule dans une cité sans nom couleur de muraille [2]. Les opérations de Gracen & Gracen, «la compagnie de la famille» demeurent pour le moins nébuleuses, pour ne pas dire abstraites. Tout au plus saura-t-on que la compagnie pratique des acquisitions (sociétés, information et sans doute les âmes de ses employés...), ce qui l’élève, avec un capital de 14,5 milliards de dollars au quinzième rang mondial.

     

    Quant au héros au nom d’emprunt symbolique [3], il agit, supprime obstacles et adversaires sans que son but soit en définitive très clair. Tandis qu’il affirme de plus en plus sa volonté de tout contrôler, Profit semble obsédé par quelque chose qui dépasse de loin ce que le poste de PDG pourrait lui prodiguer.

    53d742f5def0026887538726a00c9367.jpgDéshumanisé, vierge de la moindre émotion qui viendrait entraver la bonne marche de ses malversations, il se comporte en véritable machine à comploter. Petit frère du Patrick Bateman d’American Psycho, cousin germain du personnage joué par Demi Moore dans le film Harcèlement, Profit a pour modus operandi de récolter le plus d’informations sur tout le monde afin d’utiliser chaque faiblesse à son profit. Ses talents de pirate informatique sont cruciaux pour la réussite de ses plans et c’est d’ailleurs lorsqu’il est assis seul chez lui, à jouer sur son ordinateur à déplacer les personnes comme des pièces d’échecs qu’il semble le plus «vivant».


    Un autre point qui l’humanise en partie, c’est sa capacité à échouer. De quoi désorienter quelque peu un public habitué à voir ses héros triompher à la fin de chaque épisode. Profit, lui, passe par des hauts et des bas. Il conclut la plupart des épisodes par de petites remarques telles que «Well, we won» ou «Gosh, better luck next week»...

    Autrement dit, en dépit de quelques détails inédits, rien de foncièrement original dans le portrait de ce yuppie psychopathe prêt à tout pour gagner le pouvoir.

     

    Hollywood vs. business

     

    Plus intéressante, en revanche, est la perpétuation, à travers la série, d’une vision négative du commerce et de l’économie. 4f81b471d8f88d7e6fa423ec97822e4d.jpgFaire d’un financier le méchant de l’histoire n’est guère nouveau, mais le lancement de Profit a ravivé la vieille querelle sur le traitement du monde des affaires par Hollywood, résumée dans cette formule lapidaire : «the greedy scoundrels are getting what they deserve» (les gredins cupides ont ce qu’ils méritent). Pour Alan Merten, doyen de la Cornell University's Johnson Graduate School of Management, c’est en partie la faute des hommes d’affaires eux-mêmes qui ont mal géré, à partir des années 80, la concomittance de vagues de licenciement avec l’attribution de primes et de stock-options juteux.

     

    Mais l’acrimonie hollywoodienne n’est pas une mode, c’est une institution. Déjà, en 1992, les hommes d’affaires représentaient 43 % des criminels dans les programmes de divertissement, loin devant les avocats, les politiciens ou toute autre profession [4]. A croire que les scénaristes de télévision demeurent fidèles à une idéologie qui ne peut concevoir les affaires comme une activité honorable destiné à procurer à la société des biens, des services, de la richesse et des emplois.

     

    De nos jours, notamment aux Etats-Unis, le PDG est perçu par l’ensemble des employés comme une personne omnipotente et intouchable. Impossible de critiquer, de parler, même à la presse, sous peine de perdre sa place. Aussi comment le public ne s’intéresserait-il pas à un feuilleton qui se contente de dire «oui, ça se passe exactement comme ça»?

    Alors que ceux qui sont insatisfaits de leur travail sont légion à et hors Hollywood, les scénaristes trouvent motivant de développer des intrigues où l’on puisse, par procuration, renverser la hiérarchie et écraser son supérieur, quitte même à recevoir une augmentation au passage...

     

    Freud est-il capitaliste ?

     

    En fin de compte, ce qui distingue réellement Profit des autres séries télévisées, c’est la formidable fusion réalisée entre d’une part, le monde matérialiste représenté par le monde de la finance et d’autre part, le pathos du personnage principal, dont les motivations, sans être réellement explicitées, trouvent de lointains éléments de réponse dans le passé...

    Dans l’un des épisodes les plus étonnants, le spectateur découvre en effet la source de l’obsession du personnage principal. Certes, il a été élevé dans un carton, ce qui en soi constitue déjà un motif sérieux d’inadaptation sociale, mais sur ce carton était imprimé... «Gracen & Gracen, The Family Company». Autrement dit, Jim Profit, en grimpant les échelons de la hiérarchie par tous les moyens, ne fait rien d’autre que de ... rentrer chez lui ! Et lorsqu’il se confie à nous, de sa voix râpeuse et envoûtante, lorsqu’il croise notre regard depuis le fond de son carton, il prouve à quel point il est facile de modeler des individus selon des normes et des idées préfabriquées.

    Paradoxalement, Profit est un show télévisé qui s’inscrit dans un mouvement de refus du petit écran : non seulement dénonce-t-il le vide abyssal de l’éthique de l’Amérique des affaires, mais il tire à boulets rouge sur la génération qui va en hériter, une génération élevée devant le poste de télévision et qui en a embrassé les valeurs.

     

    Ce message fut peu, ou pas, compris du public. Malgré des critiques louangeuses et le soutien d’un petit noyau de passionnés, la série fut interrompue après moins de dix épisodes, officiellement en raison d’une faible audience [5]. Cet échec souligne le genre de loi d’airain que même Profit n’aurait pas osé enfreindre : les bonnes critiques sont rassurantes, mais rien ne vaut de confortables recettes publicitaires...

     

    Jean-Michel OULLION

     

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     * Depuis la rédaction de cet article, paru en 2000 dans la revue La Voix du Regard (n°13), ce n'est plus tout à fait vrai, avec la diffusion de séries comme The Office ou Caméra Café.
     

    [1] Sans parler des commissariats, tribunaux, prisons et autres cabinets d’avocats indispensables aux séries policières.

    [2] Profit a été tourné à Vancouver, comme la plupart des épisodes des X-Files.

    [3] Le télespectateur apprend très vite que Profit n’est pas son vrai nom, la quête de l’identité réelle du héros est d’ailleurs l’un des ressorts dramatiques de la série.

    [4] Source : Media Research Center study of entertainment programming.

    [5] Pourtant, des séries avec des audiences similaires ont connu des existences moins brèves. Certaines rumeurs sur Internet ont suggéré que la Fox de Rupert Murdoch a peut-être mis fin à la série car elle décrivait un monde des affaires rappelant trop son propre empire. 

  • X-Files : la vérité est dans le générique

    ceea0e983eb2981e68a76ca4a07d1292.jpgLe texte ci-dessous a été publié en mars 1998 dans la revue La Voix du Regard, n° 11. Quelques mois plus  tard, j'ai rédigé un addendum que vous pouvez lire ici.

    «De même que la lumière se montre soi-même et montre avec soi les ténèbres, ainsi la vérité est à elle-même son  critérium et elle est aussi celui de l'erreur» (Spinoza)

    Aristote avait raison : en affirmant que toute oeuvre dramatique est comme un «tout» ayant «un commencement, un milieu et une fin» (1), il énonçait la segmentation ternaire du récit et préfigurait les théories contemporaines qui ont enrichi sa définition. C'est le cas de l'Américain Syd Field qui introduit, entre autres choses, le concept d'exposition dans l'oeuvre dramatique (2). Il s'agit du premier temps du récit, les premières images d'un fiction à partir d'un point d'attaque déterminé arbitrairement par un auteur. Corneille donnait à l'exposition le nom de «protase» en précisant qu'elle «doit contenir les semences de tout ce qui doit arriver, tant pour l'action principale que pour les épisodiques (secondaires)» (3).


    Dans les films de cinéma, le scénariste et/ou le réalisateur ont toute latitude pour développer l'exposition de leur choix: le spectateur ne connait ni les personnages, ni l'intrigue et apprécie d'être peu à peu immergé dans un univers inconnu. Dans les séries télévisées, en revanche, le processus itératif propre au genre conduit les auteurs à aborder l'exposition de manière duale: à un prégénérique qui a pour but premier de lancer l'action en y ajoutant une dimension spectaculaire, succède le générique proprement dit qui est investi d'un rôle supérieur à celui d'un film de cinéma ou d'un téléfilm.

    En effet, en quelques plans soigneusement montés, il s'agit rien moins que d'informer ou de rappeler au téléspectateur les visages des principaux protagonistes et les thèmes principaux de la série.
Les bons génériques de séries télévisées sont donc ceux qui en disent le plus en le moins de temps possible. La séquence d'ouverture de la plus populaire des séries, X-Files, Aux Frontières du Réel, est un modèle du genre. Récompensée par l'Emmy du meilleur générique en 1994, elle dévoile, sous le feu de l'analyse filmique, les fondements d'un authentique phénomène de société.

    Visionnez le générique complet de X-Files

    Long d'une quarantaine de secondes, le générique des X-Files comporte 27 plans dont la musique lancinante de Mark Snow scande le défilement. La durée de ces plans ainsi que leur enchaînement sont très hétérogènes. Certains s'étendent sur quelques secondes, d'autres frôlent le subliminal. Par ailleurs, fondus, fondus enchaînés et cuts classiques se succèdent selon une logique a priori inexistante. Perplexe, le spectateur inattentif regarde une suite d'images pour la plupart indéchiffrables. Mais que voit-il exactement ?

    f5a1e819ccde96f96b5517763cd7c019.jpgLe premier plan (plan 1) dévoile le titre de la série The X-Files en noir sur fond gris. Une lueur blanche éclaire depuis le bas de l'écran la lettre X agrandie. L'orientation de cette source lumineuse, associée au gris militaire, évoque aussi bien les projecteurs d'une batterie anti-aérienne («la menace est réelle, nous vous tenons un discours sérieux») que les spots d'un studio de cinéma («vous êtes devant un spectacle, donc tout va bien...»). 
Mais c'est la lettre X qui retient toute l'attention du spectateur : l'inconscient l'associe immédiatement au tabou, à l'interdit, à la limite à ne pas franchir.

    Mais pourquoi ne pas y voir aussi le symbole du carrefour, du point de non-retour, là où tout bascule entre le réel, identifié et rassurant, et le surnaturel, sombre et menaçant ? Les amateurs de graphisme auront noté au passage qu'il manque au X la partie supérieure gauche, comme pour indiquer qu'un petit espace viendra toujours s'intercaler entre ceux qui cherchent la vérité (les agents Mulder et Scully et... les téléspectateurs) et la vérité elle-même.

    2388db4f690f75114fec89df20c6d193.jpgSuit une série de plans très rapides (plans 2 à 9) montrant sous différents angles un objet volant non identifié. Le défilement, tel un diaporama que l'on accélère, s'achève sur un plan rapproché et flou de l'objet qui demeure obstinément mystérieux. A vitesse réelle, on croit passer du plan 1 au plan 3 directement, mais en réalité, s'insère un plan extrêmement bref que révèle seulement l'arrêt sur image.

    Ce plan 2 montre dans le coin inférieur gauche, une petite silhouette noire qui désigne du doigt dans un ciel bleu sombre une forme sphérique incongrue. Celle-ci fait penser à un nuage, mais figure dans le coin inférieur droit de l'écran un petit texte dont seuls les premiers mots sont lisibles: «Interprétation Photo du FBI». S'il s'agissait seulement d'un nuage dans le ciel, pourquoi le FBI aurait-il eu besoin de le photographier? Déjà se dessinent les prémisses d'un thème majeur de la série: la Conspiration, le mystère que l'on cherche à garder caché par tous les moyens.

    Les plans 10 à 13 défilent rapidement et forment autant d'images énigmatiques que le spectateur ne parvient à décrypter. Les spectateurs assidus auront d'ailleurs remarqué que ces scènes n'apparaissent dans aucun épisode, ce qui confirme leur valeur de symboles.

    aa8fdc8ec77e128e0994baa7b12bcbe0.jpgQue signifie cette main noire qui se déplace au dessus d'une surface noire couverte de symboles ésotériques? Les fondus enchaînés se succèdent, au rythme d'un seul et unique zoom avant: à mesure que l'on progresse, le mystère s'épaissit. Il y a là un paradoxe : un générique ne se doit-il pas d'être, avant tout, explicite ?
L'image de la boule à électricité statique (plan 11) agit comme une réminiscence. A toute mémoire endormie, elle ne peut qu'évoquer ces expériences fascinantes de physique à l'école et, par association d'idées, elle symbolise ici le poids de la science (qu'incarne l'agent Dana Scully) par opposition aux territoires inconnus suggérés par le paranormal.


    Mais si la science a son mot à dire pour expliquer certains phénomènes, il demeure des pans entiers d'univers à explorer, des mondes effrayants (le visage bleuâtre et hurlant du plan 12) et dématérialisés, à l'image des «ectoplasmes» du plan 13 qui sont la manifestation tangible d'une activite parapsychologique dont la composition est organique.

    f44469f1e853befcee5b81c4a58aced1.jpgCe n'est qu'au plan 14, une fois le décor planté, qu'apparaissent les protagonistes de la série. Ce plan est admirablement composé. Dans un léger zoom avant, nous découvrons le visage de l'agent spécial Fox Mulder, du moins sa photographie sur sa carte du FBI (partie supérieure gauche), son badge (bord inférieur) et une paire de menottes (droite du cadre). La figure masculine est donc réduite à ses attributs professionnels, à sa pure fonction. L'image ne nous apprend rien de sa personnalité ou de sa vie privée, il en sera de même au cours des épisodes où les informations sur le personnage seront soigneusement distillées au téléspectateur.


    Sa partenaire, Dana Scully, fait l'objet d'un traitement similaire au plan 16, mais la composition du cadre est différente : le cadre est plus serré, on distingue moins d'accessoires (seulement une partie de son badge) et sa photo est située dans la partie droite de l'image. Ces subtiles variations conduisent de manière inconsciente le spectateur à s'interroger sur le statut de ce personnage: ami ou ennemi ? Quel camp défend Dana Scully ? Celui de Fox Mulder ou bien est-elle téléguidée par d'obscurs pouvoirs?

    Ce n'est sans doute pas un hasard si, entre les plans 14 et 16, s'intercale un plan grisâtre, nébuleux (plan 15) d'où émergent une ombre spectrale et un texte tronqué: «Government denies knowledge...» (Le gouvernement nie avoir connaissance...). Astucieuse idée d'associer en une même image un symbole (le fantôme que, par essence, on ne peut toucher) et un concept (l'Etat) pour en dénoncer la toute-puissance et l'immunité. La série décline sur différents modes le thème de la divulgation de connaissances «sensibles» dans une démocratie.
On sait la méfiance latente, sinon l'aversion d'une partie des Américains pour leurs institutions fédérales. Mais comment ne pas songer également, devant cette vision, aux mots terribles de Nietszche : «L'État, c'est le plus froid de tous les monstres froids. Et il ment froidement ; ce mensonge glisse de sa bouche: "Moi l'État, je suis le peuple».

    Face aux menaces de cette hydre aux têtes invisibles, les deux agents n'auront d'autre choix que de s'unir et d'agir de concert. Car, malgré leurs différences originelles et leurs méthodes radicalement différentes, ils sont animés d'un même absolu: découvrir la Vérité. L'observateur attentif aura d'ailleurs noté un détail stupéfiant: sur leurs cartes de service, les signatures des deux agents sont rédigés de la même écriture !

    8575bef602bb5c78b9de6aa5e1eeaa47.jpgLes plans 17 à 24 donnent un aperçu des scènes d'action en duo. L'enchaînement des plans est construit de manière identique à la série de plans 2 à 9 (même rythme, même nombre de plans). On distingue une porte entr'ouverte et le faisceau d'une lampe torche dans l'obscurité (plan 17), puis la porte grande ouverte, une silhouette et deux faisceaux de lampe (plan 18), ensuite la fusion des deux faisceaux en un halo (plan 19) puis deux silhouettes et deux lumières distinctes (plan 20).

    En quatre plans, tout est dit : les deux agents agiront ensemble si possible, mais leurs investigations les éloigneront souvent l'un de l'autre. L'homme reçoit la mission d'agir, d'enquêter tandis que la femme réfléchit et suggère des explications : dans le plan 21, c'est Fox Mulder qui brandit le revolver et Dana Scully la lampe torche. Attardons-nous un instant sur l'atmosphère glauque, humide, sur le ballet de lumière orchestré par les lampes torches, aussi récurrentes dans les épisodes de la série que l'usage du téléphone cellulaire.

    a2d2d4f3e9decd75f1cf449d81191049.jpgDu plan 22 au plan 24, les deux personnages semblent figés, la caméra opère autour d'eux un mouvement saccadé en zoom avant avec raccord dans l'axe puis l'image se dissout dans un «fondu au blanc» qui s'efface devant un plan riche de sens (plan 24): une silhouette luminescente tombe dans un puits sans fond avec, en surimpression, une main bleutée, avec un doigt de couleur rouge. Le contraste zoom arrière (corps) - zoom avant (main) accentue la distorsion et renforce la cinétique de la scène (4). Les deux images évoquent respectivement les expériences aux frontières de la mort et ces fameuses photographies destinées à prouver l'existence d'une aura psychique (sous le nom d'«effet Kirlian»).


    Là encore, le message est clair : est-il besoin de contempler les étoiles, de lever les yeux (comme la silhouette du plan 2) pour découvrir la véritable nature de l'homme? Le secret ne réside-t-il pas dans un examen à effectuer sur nous-mêmes? Notre quête spirituelle ne consisterait-t-elle pas, après tout, à plonger en soi, à sonder notre coeur au risque de chuter et de perdre notre âme ?

    8be3406be1fc5b7f20c1b590845a75bd.jpgUn fondu enchaîné rend indissociables les ultimes plans (plans 26 et 27). A l'image d'un oeil, en très gros plan, succède celle, filmée en accéléré, d'un paysage désertique sur fond de ciel orageux, alors que s'inscrit dans un coin de l'écran la désormais fameuse formule «La Vérité est ailleurs» qui s'évanouit invariablement dans un fondu au noir.
    Avant de revenir sur l'image, notons déjà que la version française de la série dénature quelque peu l'original sur deux points.
D'abord, parce que cette formule n'est pas systématique dans tous les épisodes : les spectateurs américains ont pu lire d'autres expressions au cours des saisons (5).

    Ensuite parce qu'il faut bien reconnaitre, et c'est peut-être là la clé de l'énigme, que la traduction n'est qu'approximative. «The truth is out there» ne signifie pas vraiment que la vérité est ailleurs, dans un lieu inaccessible mais qu'elle est là, dehors, pas très loin, peut-être à portée de la main ! Et qu'il ne tient qu'à nous, finalement, pour qu'elle soit révélée aux yeux du monde (6).

    13c5fe12e1e430a42dc72150bf44ec8a.jpgL'image de l'oeil qui précède celle du désert orageux est donc loin d'être innocente. Le nom de Chris Carter, le producteur, apparait au bas de l'écran, tandis que l'oeil s'ouvre. On connait le rôle fondamental joué par ce producteur-réalisateur dans l'élaboration et l'évolution de la série d'une année à l'autre. Auteur de plus d'un tiers des scénarios, il supervise absolument tout. Le plan 26 du générique ne fait que traduire la toute-puissance du créateur, du cinéaste démiurge (dictatorial?) qui conçoit et impose un monde fictif cohérent pour, dans le même temps, donner à voir, à révéler, à ses spectateurs une vérité cachée. Une vérité que chacun fait sienne selon ses propres convictions car, comme l'écrivait Descartes, «il nous est toujours libre de nous empêcher d'admettre une vérité évidente».

    © Jean-Michel OULLION, 1998


    (1) Aristote, Poétique, Paris, Le Seuil, 1980.
    (2) Syd Field, Screensplay, The Foundations of Screenswriting, Dell Publishing, New York, 1984.
    (3) Jacques Scherer, La dramaturgie classique en France, A.G. Nizet, Paris, 1986.
    (4) Un procédé analogue fut employé par Hitchcock pour les scènes de vertige dans Sueurs Froides.
    (5) Les passionnés savent que l'épisode intitulé The Erlenmeyer Flask était précédé de la non moins célèbre mention «Trust No One», que l'épisode Ascension mettait en valeur la formule «Deny Everything», 731, la phrase «Apology Is Policy», que Herrenvolk était préfacé par «Everything Dies», etc. La formule d'introduction la plus originale est sans aucun doute celle de l'épisode Anasazi : «Ei Aaniigoo 'Ahoot'e», c'est-à-dire La Vérité est ailleurs... en navajo !
    (6) Dana Scully prononce pour la première fois cette phrase dans l'épisode intitulé Entité Biologique Extraterrestre tout en ajoutant «Mais les mensonges aussi.».

  • Générique X-Files : addendum

    Cet addendum sur le générique de la série X-Files complète l'article l'article principal que vous pouvez consulter en cliquant ici.

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    Preuve que le générique de la série X-Files est vraiment riche de sens, j'ai ressenti le besoin d'ajouter quelques réflexions sur des points précis que je n'avais pas complètement cernés lors de la rédaction de l'article pour La Voix du Regard. Je les laisse à votre libre appréciation.

    Le logogramme du premier plan et la dualité ombre/lumière

    L'idée de commencer le générique par un logogramme ayant la puissance symbolique attachée à la lettre X est particulièrement astucieuse. Le mystère est très séduisant, rien de tel pour captiver d'emblée le public qui s'interroge : quelle est cette énigme ?
    d9bfcacc5e496b2680fccb6fdb60216d.jpgLe premier plan du générique souligne de manière presque triviale une dualité souvent mise en scène dans les oeuvres de fiction audiovisuelles : le positif, la vérité, voire le ou les héros, sont associés à la lumière tandis que le négatif, le mystère, le mensonge, les ennemis appartiennent au monde de l'ombre, à l'obscurité. Dans ce plan, mais surtout dans tout le générique, se succèdent des images élaborées sur le principe de l'opposition blanc/noir, lumière/obscurité. Le «X», dont l'aspect «effacé» indique l'ancienneté des services des affaires non classées, semble comme comprimé entre deux faisceaux noirs menaçants.

    L'infiniment grand et l'infiniment petit

    4611f08ce871810a8f7568dcfea13f16.jpgTrois plans nous montrent tout à tour :
    - une sphère de laboratoire émettant des éclairs de lumière, 

    - un visage littéralement déformé par l'angoisse ou la douleur, 

    - des oeufs qui s'ouvrent en symétrie dans un milieu opaque gluant.

    Cet enchaînement peut s'analyser comme une descente impressionnante du plus grand vers le plus petit, un concept cher (mais dans le sens contraire) à Blaise Pascal, terrifié à son époque par le silence des espaces glacés et infinis. En effet, la sphère pourrait être assimilée à une étoile, et donc par extension, à l'Univers tout entier ; le visage déformé, qui évoque au passage le fameux tableau Le Cri d'Edvard Munch, représente l'homme, terrifié, voire «possédé» par l'Inconnu. 79ad2db6c60488a2bc4e42e2009ec99d.jpgQuant aux oeufs, ils symbolisent le monde cellulaire, mal connu et porteur des pires inquiétudes.
Bref, l'espace, l'humain, le cellulaire ou, dans le cas spécifique des X-Files, les extra-terrestres, la possession, la génétique. Avec cette idée permanente et sous-jacente que la Vérité est en nous, au plus profond de nos êtres et qu'il ne sert à rien, comme l'homme du plan 2 de regarder le ciel vers un hypothétique Ailleurs.

    7726168f9b3dbe79b28486a09b35e9fd.jpgA propos de ce plan 2, dit de «l'homme et de la soucoupe», notons le contraste très fort entre la soucoupe, centrée dans le cadre, lumineuse, et l'homme décadré, présenté de dos, seul. L'homme semble écrasé par la révélation, sa silhouette s'estompe, comme rejetée hors champ : manifestement, devant les secrets de la Nature, l'homme ne fait pas le poids !

    La Vérité ne se laisse pas facilement apprivoiser...

    Dans les brefs plans suivants, l'image ne cesse de se resserrer tandis que l'être humain est d'abord décadré, puis amputé (on ne voit plus de lui que son bras) pour n'être carrément plus là ensuite. L'homme (Mulder par extrapolation) s'efface en quelque sorte devant sa quête, au profit de la vérité qui augmente proportionnellement. Il y a là une préfiguration du leitmotiv «La vérité est ailleurs» dans cette image d'OVNI qui attire tous les regards, même celui de la caméra...

    L'enchaînement saccadé des plans, qui a déjà été utilisé par de nombreux réalisateurs (Ridley Scott, Oliver Stone entre autres) a pour but de focaliser l'intérêt du spectateur sur l'image et à l'obliger à se concentrer pour la percevoir. La brutalité de la séquence est cependant atténuée par un léger travelling avant. On retrouve là une technique chère aux informations télévisées : plus le cadre tremble, plus l'image fait «amateur», plus on est captivé et plus on croit à son authenticité.
L'image se fige en définitive mais dans un splendide flou artistique, ce qui fait que le spectateur n'est pas plus avancé... Une belle idée de réalisation pour faire passer l'idée qu'à vouloir trop s'approcher de la vérité, on finit par ne plus rien voir du tout !

    Le détail qui tue...

    Dans le coin droit du plan montrant l'insigne de Fox Mulder, on distingue un cendrier. Etrange lorsqu'on sait que notre héros n'est pas un adepte de la cigarette. Par contre, le cendrier évoque immédiatement un personnage récurrent, à savoir L'Homme à la Cigarette (Cancer Man, dans la version originale). Est-ce à dire que dès les premiers épisodes de la série, son créateur Chris Carter avait déjà en tête d'associer Mulder à cet homme dont tout porte à croire qu'il pourrait être son père?...

    Le fantôme

    D'un fondu enchaîné, on passe du visage de Fox Mulder à celui d'un fantôme qui progresse vers la caméra. Cette association n'est pas gratuite; c'est qu'il y a un fantôme derrière notre héros. Reste à savoir de qui il s'agit : l'Homme à la Cigarette ? La soeur disparue de Fox Mulder? Ou bien juste lui-même ?

    Au doigt et à l'oeil

    ceaf20ce15654afc1c006f9e337c4043.jpgDans le plan de la main «radiographiée», la phalange de couleur différente constitue peut-être un clin d'oeil à une série célèbre des années 60, Les Envahisseurs, où un certain David Vincent s'escrimait déjà à convaincre ses pairs qu'«ils sont parmi nous»....

    The director's cut

    Le passage des fondus enchaînés au plan de l'oeil ouvert s'opère par un cut brutal. Cette figure de style cinématographique est de la première importance. Lorsqu'une série de plans brefs, reliés entre eux par un montage fluide, est brutalement interrompue par une coupe franche, l'image qui suit immédiatement est souvent chargée de sens. On se remémorera la séquence d'ouverture de Citizen Kane et l'audition du fameux «Rosebud», ou bien l'introduction du film Duel de Steven Spielberg, où le premier cut marque l'arrivée à l'image du véhicule du personnage principal.

    Pourquoi ce plan est-il si important ? D'abord parce qu'il fait appel à la Symbolique en suggérant que l'oeil est symbole de la Vérité et que cette Vérité, c'est avant tout... le réalisateur qui la détient ! (Wenders ne disait pas autre chose dans l'introduction des Ailes du Désir). Ensuite, parce que sa séparation des images précédentes par un «cut» donne à penser qu'il y a un fossé infranchissable entre l'enquête de nos deux agents et la Vérité. Autrement dit, une variante visuelle du leitmotiv de la série «La Vérité est ailleurs».

    La vérité, un jour ?

    Que conclure d'autre du plan de fin, sinon que le défilement en accéléré de l'image ne suggère rien de bon. Le téléspectateur va devoir prendre son mal en patience avant de recevoir quelques bribes de vérité ! Ce plan procure aussi un léger sentiment d'abandon, comme lorsqu'on contemple un paysage désert, les hommes (et les extra-terrestres ?) sont partis, demeure la nature, éternelle et immuable.

  • La cybersérie : un nouveau genre télévisuel ?

    2a536f7b967a166281ade5d47b9326c9.jpgA propos de la série télévisée V.R.5

    Ce texte est paru pour la première fois en mars 1997 dans la revue La Voix du Regard, n° 10.

    "Quand l'homme se laisse aveugler par les choses,
il se commet avec la poussière" (Shitao)

    "Le XXIème siècle sera virtuel ou ne sera pas", telle pourrait être la devise de la génération cyber parodiant la célèbre formule de Malraux. Basculer dans un nouveau millénaire conduit l'homme à se repenser et à mesurer autant ce qu'il a accompli que ce qui se dresse devant lui. A l'approche de l'an 1000, les artistes et les poètes européens avaient déjà éprouvé le besoin d'exprimer leurs visions de l'Apocalypse.

    Aujourd'hui, d'autres pourvoyeurs de culture de masse, les producteurs de télévision américains, abordent le prochain millénaire avec des arrière-pensées moins tragiques. Alors que se profile la barrière symbolique de l'an 2000, les créatifs des chaînes rivalisent d'imagination pour offrir à leurs convives un menu alléchant où nouvelles technologies et cyberculture tentent de se nicher dans l'imaginaire populaire collectif.

    Née de l'essor de l'informatique, "théorisée" par la littérature (1), la cyberculture (comme son alter ego, le multimédia) est désormais partout, depuis les cyber-cafés jusqu'à votre adresse électronique sur votre carte de visite. La réalité virtuelle qui permet de s'immerger dans un univers reconstitué a été popularisée dès 1989 par le musicien américain Jaron Lanier. Elle fascine ausi bien les éditeurs de jeux vidéos que les techniciens des industries de pointe. Le cinéma l'a introduit dans ses scénarios, avec plus ou moins de bonheur : si Tron (1982) est aujourd'hui un classique du genre, des films comme Le Cobaye (1992) ou Johnny Mnemonic (1995) ne resteront pas dans les mémoires, qu'elles soient virtuelles ou pas.

    Curieusement, c'est au moment où la réalité virtuelle marque le pas dans le secteur industriel, en partie parce que les constructeurs sont lents à développer des équipements miniaturisés et des logiciels graphiques performants, que le thème surgit sur le petit écran. Pourtant, malgré ces limites technologiques, Hollywood poursuit sa quête du virtuel.

    8b1ac3e47f4ee214b2d05104498e0e68.jpgPour la première fois, en 1995, une série télévisée, V.R.5 (2), intègre la réalité virtuelle dans son schéma narratif et, partant, donne à réfléchir sur les modifications culturelles et comportementales que susciterait la diffusion massive d'une telle invention. V.R.5 fascine le spectateur par ses manques, ses non-dits et ces parcelles d'informations révélées avec parcimonie. On n'y apprend guère de choses - et ce que l'on vous dit n'est pas toujours la vérité (3).

    Plus émotionnel que Twin Peaks, moins hermétique que Wild Palms (4) d'Oliver Stone (qui développe des thèmes similaires comme la paranoïa ou la manipulation par l'image), V.R.5 met en scène une jeune employée du téléphone, Sydney Bloom (jouée par Lori Singer), qui découvre accidentellement qu'elle peut pénétrer l'inconscient d'autrui grâce à un système de réalité virtuelle associé à un modem. Il lui suffit d'appeler par téléphone un correspondant involontaire pour s'approprier numériquement ses espoirs, ses rêves et ses peurs primales et les retraduire dans un monde virtuel.

    636b09503d0f06ddb1e2ca247d6e966e.jpgLà où le bât blesse, c'est que personne - pas même Sydney Bloom - ne peut prédire le résultat... Au-delà du choix (rare) d'un personnage principal féminin doté d'une compétence technique, V.R.5 utilise une technologie, la réalité virtuelle, pour ses valeurs dramatiques et esthétiques. Pour la première fois, un feuilleton de télévision jette les dés pour voir ce qui peut arriver lorsque fusionnent deux ou plusieurs univers intérieurs, personnels, symboliques - donc forcément chaotiques.

    Récemment, la théorie du chaos a connu un certain succès, amplifié par l'image spectaculaire du "papillon de Rio" (un battement d'aile de papillon à Rio crée un typhon à Tokyo). Cette fois-ci, la théorie est mise en pratique au niveau de l'inconscient et révèle les paysages curieux des mondes que nous transportons en nous. En effet, depuis que les premiers artistes ont commencé à dessiner sur les parois des cavernes, nous avons toujours lutté pour libérer nos réalisations intérieures. Et, alors que l'art le plus abouti a toujours été capable de nous arracher des larmes de joie et de chagrin, subsiste en permanence ce sentiment que même les chefs-d'oeuvre les plus admirables laissent échapper la part la plus solitaire de notre parcours personnel.

    Autrement dit, aussi réussie une représentation soit-elle, l'art reste malgré tout seulement cela - une documentation, un enregistrement d'un point de vue, gelé dans le temps, une expérience préfabriquée que nous pouvons espérer pénétrer seulement en partie grâce à un brillant accord de guitare, une tournure de phrase enlevée ou un génial coup de pinceau.

    9718ef148c6a77576847cdde8b5155b3.jpgLa réalité virtuelle, comme les créateurs de V.R.5 l'ont intelligement perçue, est de nature à modifier complètement notre rapport à l'art et à l'esprit. Nous ne pressons plus nos oreilles contre les murs, nous ne louchons plus dans la brume, nous sommes capables de glisser avec quelqu'un d'autre dans le même univers et de partager ensemble l'indicible sensation d'être. Pour la première fois, il n'y pas plus séparation de l'identité. N'en déplaise à Sigmund Freud, conscient, subsconcient et l'inconscient fusionnent en un tout.

    Quitter en imagination le réel, c'est se jeter dans le vide. Renoncer à une position, c'est céder au vertige de l'abîme (5). Les mondes virtuels ne nous passionneront que s'ils nous procurent cette émotion. «Car quiconque fut jamais pris de vertige, qui a plongé au fond du gouffre, même en rêve, ne peut que jeter à son retour, autour de lui, des regards aigus et tranquilles»(6).

    17b9a2546da6a3f7417307377aeb40fe.jpgAurons-nous, comme l'héroïne de V.R.5, qui dans l'un des premiers épisodes, revit le souvenir douloureux de la noyade de son père et de sa soeur après s'être immergée dans une baignoire pleine d'eau, à revivre également des expériences traumatisantes de notre passé avec nos compagnons virtuels à la traîne ? Comme l'amant de Sydney Bloom qui, dans le premier épisode, manifeste son subconscient en apparaissant virtuellement sous les traits d'un tueur en série, trouverons-nous parfois surprenantes des facettes de notre propre identité ? Quelle image donnerons-nous de nous-mêmes dans le monde virtuel ? Une différente chaque jour, comme certains internautes ? (7)

    L'un des points les plus réussis de V.R.5 est la représentation de la psychologie du personnage dans le monde réel et le monde virtuel par le biais du style verstimentaire. Dans la vie réelle, Sydney porte des pulls et des jeans ordinaires. Elle présente une personnalité introvertie et socialement mal intégrée. En revanche, ses vêtements deviennent voyants et sexy dès qu'elle pénètre dans le monde virtuel, comme si c'était ses perceptions, ses attentes, ses désirs qui la vêtissaient.

    La réalité virtuelle produit sa propre esthétique. Les systèmes existants de VR, limités en puissance de représentation, s'appuient sur une conception géométrique de l'art (lignes droites, intersections à angle droit, etc.). V.R.5 offre au contraire une alternative inédite sous la forme d'un univers complexe, déstabilisant mais très cohérent. Imaginez une version d'Alice au pays des Merveilles tournée par Oliver Stone...

    La plupart des plans des expériences de réalité virtuelle présentent des angles étranges et recourent à des lentilles utilisées généralement dans les films expérimentaux. Les séquences sont tournées en 35mm couleurs, puis converties en noir et blanc, et enfin recolorisés image par image par ordinateur. Les acteurs semblent baigner dans une lueur psychédélique qui rappelle les effets délétères du LSD. La musique ajoute à l'ambiance générale: l'opéra symbolise le subconscient, aussi imprévisible, paradoxale et passionné que la réalité virtuelle elle-même.

    La Fox n'a pas poursuivi l'expérience de V.R.5 au-delà du treizième épisode. Preuve, s'il en est, que le fossé est encore large entre les attentes du grand public et la cyberévolution des esprits. La cybersérie n'est pas encore un genre télévisuel mais possède en revanche tous les ingrédients des séries culte.

    Cet insuccès résulte peut-être de la perception qu'a le public de la réalité virtuelle. Déjà là et encore un pas à faire : il semble que la technique d'immersion virtuelle soit toujours sur le point d'arriver avec la prochaine percée technologique... Et d'un autre côté, ce curieux sentiment que la réalité virtuelle est située dans un futur proche de science-fiction. Sans doute faudra-t-il patienter dix, vingt ou même cinquante ans avant que la technique rattrape l'imagination des créateurs de V.R.5.

    Et qui sait ? La série pourrait se révéler plus prophétique que les sceptiques voudraient nous le faire croire. Car, en définitive, ce qui nous retient et nous fait espérer, c'est cette promesse de figer la frontière entre la vie quotidienne et l'existence virtuelle en des théâtres séparés et de nous offrir les outils pour explorer la plus mystérieuse des planètes, l'âme humaine.

    © Jean-Michel OULLION, 1997

    (1) Le romancier américain William Gibson invente en 1984 le terme de cyberspace dans son roman Neuromancien.
    (2) Produite par la Fox, la série Virtual Reality 5 (VR.5) a été diffusée en France sur la chaîne câblée Canal Jimmy en 1996-1997.
    (3) "Toute question ne mérite pas toujours réponse", Publilius Syrus, 1er siècle avant JC.
    (4) L'histoire de Wild Palms, qui s'étalait sur six épisodes, était si obscure que la chaîne ABC dût mettre en place une assistance téléphonique pour aider les téléspectateurs à dénouer les fils de l'intrigue...
    (5) En allemand, abîme se dit Abgrund qui s'oppose à Grund, la base mais aussi comme le précisait Heidegger, la raison.
    (6) Philippe Quéau, Le Virtuel, vertus et vertiges, Champ Vallon, 1993.
    (7) "Sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien" - maxime populaire sur le World Wide Web.